Lors de la dernière grève des raffineries, tu t’étais fait eu.
Tu étais en vacances, à profiter de la pluie, skis aux pieds et combinaison prenant l’eau, or, sitôt qu’a sonné pour toi l’heure des congés, tu deviens totalement imperméable au moindre évènement susceptible d’être évoqué dans un journal, du Nouveau Détective au Monde Diplomatique.
Les tours du World Trade Center se seraient écroulées pendant tes vacances que tu ne l’aurais appris qu’une semaine plus tard, même les gens s’obstinant à courir autour de toi en glapissant les mains en l’air te laissent de bois dans ces moments là.
D’ailleurs, personne dans le village où tu t’étais retirée dans l’espoir vain de voir de la neige ne semblait avoir été touché par les nouvelles du monde, puisque tu as fait ton plein sans croiser personne la veille de ton retour.
Tu as roulé 600 km, tu as refait un plein toujours sans soupçonner que dans des contrées lointaine des usagers se tapaient déjà dessus à coup de bidons, et tu es enfin arrivée chez toi, le réservoir soigneusement vidé et tout prêt à resservir.
Sauf que ce n’était plus possible : dans ton chez toi, les stations services n’existaient déjà plus, leurs entrées étaient impraticables, barrées de grands rubans de scènes de crime.
Les rares encore ouvertes se distinguaient par les kilomètres de voiture laissant croire à un embouteillage alors que non : elles faisaient simplement la queue, bloquant au passage des rues entières de la ville.
N’étant pas une grande stressée, tu as décidé d’attendre (tu n’allais pas perdre peut-être 30 minutes (et plus sûrement trois heures ou plus) de ta journée pour un détail aussi trivial que quelques litres de pétrole, non ?) que les choses se règlent d’elles-même, ayant confiance dans la nature de l’être humain qui n’est pas toujours très persistant dans ses résolutions, surtout les meilleures.
Hélas, ton réservoir a pris la décision de son côté de se servir goulûment, et tu t’es retrouvée à sec.
Mais joie et bonheur, à quelques kilomètres à peine de ta voiture arrêtée, une station servait encore les pauvres hères que la misère pétrolière avait jetés sur les routes.
Armée d’un bidon de fortune, tu t’es donc mise en route vaillamment telle le petit tailleur, épuisée d’avance à l’idée de refaire le trajet inverse très lourdement chargée.
Heureusement pour toi, tu n’en as pas été réduite à une telle extrémité, bénie soit ta bonne fortune et la générosité humaine : à peine étais tu arrivée devant la station qu’un cerbère visiblement chargé de laisser entrer les véhicules qui lui agréaient et tout heureux de remplir enfin le rôle suprême de physionomiste vers lequel toutes ses expériences antérieures l’avaient poussé (= il tenait le bout du ruban de pouvoir, et rien ni personne n’eût pu le lui arracher !) t’a repérée, toi, avec ton minable petit bidon, et s’est dirigée tout droit vers toi.
Pour te le remplir bien évidemment, il ne voulais pas te faire faire la queue derrière deux cents voitures alors que tu es à pieds, qu’il fait froid (février) et que tu n’as besoin que de cinq litres au plus.
Ah non !
En réalité, il est venu…t’expulser !
« Pas de bidons ! C’est marqué là ! Faut pas faire de provisions de précaution ! »
Alors déjà, tu peux comprendre les précautionneux même si tu n’es pas de cette nature.
Enfin, disons ceux qui ont tous les jours 100 bornes à faire pour gagner leur pain quotidien, pas les retraités qui ne bougent de toutes façons que de la chambre au salon et du salon à la cuisine (trois télés pour ne rater aucun épisode de Derrick !) et ne prennent leur voiture que pour aller chercher le pain en face.
M’enfin, pour en revenir à des considérations plus prosaïques, le monsieur voit bien que tu n’as pas de voiture, n’est-ce pas ?
Et que tu n’es donc pas venue faire des provisions, juste acheter ce qu’il faut pour redémarrer ton véhicule et ne pas le laisser au beau milieu d’une rue.
« Non, pas de bidon, c’est marqué là ! »
Il y tient à sa pancarte sur laquelle il a réussi l’exploit admirable de caser quatre fautes d’orthographe.
Tu lui expliques de ton ton le plus pédagogue qu’il est effectivement précisé sur son carton qu’il n’est pas permis de remplir des bidons (et d’ailleurs, cette interdiction est-elle bien légale ?) mais que, ainsi qu’il te l’a lui-même fait remarquer au début de cette conversation à laquelle l’un de vous deux ne semble pas réellement participer en faisant appel à toutes ses facultés intellectuelles (ou bien si ?), l’interdiction des bidons est destinée à contrer l’achat de précaution, pas à empêcher les personnes en panne de remettre un peu de carburant dans leur réservoir.
Oukilé le véhicule dans lequel tu vas ensuite jeter ce bidon, hein, oukilé ?
« Y’a marqué sur la pancarte que les bidons sont interdits et c’est tout ! »
Oh misère et pauvre France !
Lorsque tu as ouï dire au même moment que 389 millions de français (la population a fortement augmenté, si tu te bases sur celle qui se presse aux pompes !) qu’il risquait d’y avoir pénurie pendant que fidèle à ses promesses (des mensonges, des mensonges, seulement des mensonges !) le gouvernement répétait à la manière d’un hypnotiseur à ses ouailles qu’il n’y avait strictement aucun problème et qu’il fallait donc se contenter de lui faire CONFIANCE, tu t’es donc tâtée sur l’opportunité de remplir ton réservoir d’avance, sachant que tu partais explorer des contrées lointaines lors de tes congés de
la Toussaint.
Le temps de jeter un coup d’œil sur ta jauge, et paf !, c’était déjà trop tard, trente secondes avaient passé, les 389 millions susmentionnés piaffaient déjà aux portes des stations services.
Tu as donc fait sans.
En fourbissant toutefois ta pancarte spéciale manif dans l’attente du jour où tu te retrouverais à nouveau face à Amibe1er
Histoire de lui expliquer la vie et ta vision des choses d’un coup sec et rapide derrière la nuque.
Tu n’as pas eu cette chance, ton réservoir a résisté encore et toujours face à l’envahisseur..
Ce sera pour la prochaine fois…
ils sont bavards